Interview de Mathilde Choisy, nouvelle directrice générale de la FFE

Mathilde Choisy, directrice générale de la FFE, est l’invitée du mois dans le Cahier de la Fédé du numéro de septembre d’Europe Échecs.

Dans cette interview, elle analyse les conséquences de la crise sanitaire pour le jeu d’échecs en France et présente la saison à venir.

À la suite de la démission de Jérôme Valenti, le comité directeur de la FFE en juin a adoubé Mathilde Choisy directrice générale. C’est la première fois qu’une femme atteint un tel niveau de responsabilités au sein de la FFE. Mais bien sûr, ce n’est pas pour ça qu’a été choisie cette jeune trentenaire qui avait déjà porté en 2019, en tant que DTN adjointe, le lourd dossier des réformes en lien avec l’Agence nationale du sport. Aujourd’hui, c’est un contexte encore plus sensible qui l’attend.

Être nommée directrice générale de la FFE en pleine crise sanitaire, n’est-ce pas un cadeau empoisonné ?

J’ai conscience, bien évidemment, que la mission n’est pas simple dans le contexte actuel, mais je suis motivée, il y a tellement à faire. Nous avons déjà pu beaucoup avancer ces dernières années, mais les chantiers sont encore importants.

Le président vous a proposé le poste parce qu’il pense que vous êtes la femme de la situation ?

Je ne sais pas (rires). Mais j’ai la faiblesse de croire que je peux aider et apporter quelque chose, tout particulièrement dans ce contexte difficile. Depuis deux ans que je suis à la FFE, j’ai touché à peu près à tous les domaines. Du coup, j’ai une vision assez globale et transversale de la situation, qu’elle soit sportive, financière, administrative et notamment institutionnelle, puisque c’est moi qui gérais déjà en grande partie ce secteur.

Sur le plan sanitaire, quelle est précisément la situation, actuellement, pour les échecs en France ?

Les échecs étaient classés dans les sports dits de contact, ce qui signifie que, jusqu’au 10 juillet, la pratique ne pouvait se faire que sous de fortes restrictions. Mais depuis la fin de l’état d’urgence, toutes les interdictions gouvernementales ont été levées. On peut donc jouer sur le même jeu tout en respectant les règles sanitaires édictées par l’organisateur. Du coup, les homologations d’opens sont à nouveau possibles.

Dans ce cas, pourquoi y en a-t-il eu si peu pendant l’été ?

Les restrictions ont été levées au niveau national par le gouvernement, mais il y en a encore sur le plan local. Beaucoup de municipalités ou d’exploitants ne veulent pas donner de salles, car ils pourraient se retrouver pénalement responsables en cas de problèmes. Certains départements peuvent aussi limiter les rassemblements de plus de 10 personnes. Dans des cas comme ça, il n’est donc pas possible d’organiser une compétition d’échecs. De plus, les grands tournois demandent une longue préparation logistique en amont, et de manière générale, les grands événements ont horreur de l’incertitude et avaient tous été annulés dès mai-juin.

À quel point la FFE a-t-elle été impactée par la crise ?

Les licenciés ne se rendent peut-être pas compte à quel point la fédération est impactée. La FFE est un organisateur d’événements importants et l’annulation des deux championnats de France, sans compter le Top12, le championnat des Grandes Écoles ou les finales de coupes, représente un manque à gagner de 100 000 €. Sans parler des pertes de partenaires, d’homologations de tournois et de licences.

La FFE n’a pas de fonds propres. On ne peut donc pas faire un plan de relance comme la plupart des fédérations ont pu le faire. Heureusement, on a assuré la trésorerie grâce à un prêt garanti par l’État, mais il est difficile d’anticiper la diminution des effectifs à la rentrée. Nous avons tablé sur une perte de 40% dans le pire des cas, ce qui nous mettrait dans une situation très difficile.

Et les clubs ?

Les clubs ont encaissé leurs cotisations en début d’année, et leurs absences de recettes ont été relativement limitées. Certains ont bénéficié du chômage partiel et l’arrêt des interclubs a pu, dans une certaine mesure, leur permettre de faire des économies. Ceux qui sont le plus touchés sont ceux qui organisent de gros événements. Le festival international de jeunes de Saint-Lô, par exemple, a dû être annulé et c’est une perte de recettes conséquente. En fait, deux courants se dégagent parmi les clubs. Certains ont poursuivi une forme d’activité et ont pris en main les logiciels de visioconférence en donnant des cours sur internet ou en organisant des tournois en ligne. Ces clubs ne sont pas trop inquiets, car ils ont réussi à maintenir un contact important avec leurs adhérents. Par contre, certains clubs ont tout arrêté depuis le 15 mars et craignent de fait de perdre jusqu’à 50% de leur effectif.

Comment doivent-ils réagir ?

Il faut vraiment qu’ils aillent occuper l’espace public et animer les forums des associations à la rentrée. Il faut aussi nouer ou renouer des conventions avec les écoles. D’autant plus que le Ministère des Sports vient d’être rattaché à celui de l’Éducation nationale. Il faut profiter de cette opportunité et utiliser les nouveaux dispositifs alliant sport et éducation : le Plan mercredi, les Cités Éducatives, le 2S2C par exemple. Les clubs peuvent aussi se servir des projets qui ont été déposés dans le cadre de l’Agence nationale du sport. Pour 2020, nous avons eu 127 dossiers déposés, dont une très grande majorité d’actions concernant des projets scolaires, ce qui représente 49% d’augmentation par rapport à l’année dernière.

Sur le plan sportif, comment se profilent la nouvelle saison et la reprise ?

Il faut être conscient que, malheureusement, la nouvelle saison va se jouer avec une épée de Damoclès au-dessus de notre tête. On se trouve dans une situation où on ne contrôle pas grand-chose. Pour l’instant, la reprise des interclubs est prévue normalement, mais on reste bien évidemment soumis aux règles sanitaires qui peuvent évoluer, ainsi qu’aux éventuels reconfinements locaux. C’est pourquoi la commission technique a prévu des dates supplémentaires en cas de reports de rencontres.

Au niveau sportif, le comité directeur a opté pour une saison blanche, avec la montée des équipes qui étaient premières de leur groupe au moment de l’arrêt des compétitions et pas de descente. Du coup, tout en haut de la pyramide, le Top 12 passe à 16 équipes et la suite de la pyramide correspond en fait à la mise en application de la réforme des interclubs qui avait été votée de longue date et qui prévoit 4 groupes de N1 et 8 groupes de N2 afin de réduire les déplacements. Le Top 16 restera toutefois à 11 rondes et on revient à l’ancien format, sur le modèle du Top jeunes actuel.

Jusqu’à votre prise de fonction en tant que directrice générale, vous étiez également directrice des jeunes. Y aura-t-il une équipe de France pour la saison 2020-2021 ?

Tous les championnats internationaux ont été annulés. Du coup, pas d’équipe de France cette année. Pour nos plus grands espoirs, c’est une situation vraiment très difficile. Ils continuent de travailler, mais ils ne peuvent pas jouer. C’est une grosse frustration.

Marc’Andria Maurizzi avait l’objectif de passer GMI avant la fin de cette année et Marco Materia pouvait aussi penser devenir MI rapidement. Des tournois fermés seront organisés par des clubs en collaboration avec la FFE entre septembre et décembre. Il y a déjà deux tournois de GMI prévus, organisés par Chartres et le Barreau de Paris, et je suis en train de regarder pour faire également au moins un voire deux tournois de MI pour les plus jeunes.

Le jeu en ligne a-t-il un avenir ?

Nous avons été privilégiés, car nous avons pu poursuivre une certaine activité grâce au jeu en ligne, alors que pour la majorité des sports, tout s’est arrêté du jour au lendemain. De très nombreux tournois se sont disputés sur internet et nous avons même pu organiser un championnat de France des jeunes en ligne qui a été un gros succès puisqu’il a rassemblé près de 1000 joueurs.

Certes, il y a la question de la triche dès qu’on parle de compétitions officielles et de tournois homologués. Mais il existe des outils importants et notamment des algorithmes très puissants pour la détecter. Il est de plus en plus difficile de passer au travers des mailles du filet.

Ceci dit, à un moment, la majorité des joueurs d’échecs s’est rendu compte des limites du jeu en ligne. Il nous a fait passer un pas important vers le numérique et c’est un bon outil complémentaire pour créer de nouveaux services, mais il ne remplacera jamais le jeu en présentiel. L’idéal est en fait d’allier le jeu sur internet avec le présentiel. En jouant des championnats en ligne, tout en étant dans son club et donc sans les contraintes du déplacement. Par exemple, la finale du championnat des écoles, qui avait été annulée, aura lieu en ligne en octobre. Mais les enfants seront regroupés, soit au club, soit à l’école.

Vous êtes la première femme à exercer de si hautes responsabilités au sein de la FFE. Pour vous, qui êtes une partisane de la mixité dans les compétitions jeunes, est-ce que ça représente quelque chose ?

Ça ne représente rien pour moi. Je ne me définis absolument pas par rapport à ça. J’espère simplement que ça pourra débloquer certaines mentalités et que ça incitera des femmes à s’engager, ne serait-ce déjà au niveau de leur club. Si ça fait des émules, tant mieux (rires).

La FFE fêtera son centenaire en 2021. En 100 ans, elle a connu 22 présidents. Pensez-vous qu’une femme puisse accéder un jour à la fonction ?

Mais bien sûr ! Rien ne s’y oppose. Même s’il faut être conscient que, sur plus d’une centaine de fédérations sportives en France, il n’y a qu’une dizaine de femmes présidentes, dont deux seulement, pour les fédérations olympiques.